Ce soir, je suis rentré tard de mon boulot, dans une banlieue tranquille, au sud-est de Paris, à mi-chemin de Melun. Il est 21 heure. Dans le RER D, deux jeunes femmes qui venaient d'essayer de me taxer 50 cents sur le quai (une dizaine de minutes avant quand même. Elles n'ont pas l'air de me reconnaitre) s'asseyent juste derrière moi. Elles ont autour du milieu de la vingtaine et ont un lourd accent "de la ZUP". Je suis en train de lire tranquillement. Après quelques minutes, l'une d'entre elles sort un téléphone portable, l'un de ces modèles bruyants faisant aussi office de sono portable. Elle met de la musique, trop fort, en changeant constamment de morceau. C'est difficile à supporter. Je me retourne. Celle qui a le téléphone est dos à moi. Je jette à l'autre un regard que je veux significatif. Elle me lance immédiatement "si vous z'êtes pas content, vous z'avez qu'à prendre le taxi, hein !"
Décontenancé, je lance "petite conne" et je me tourne pour revenir à ma lecture. Que faire d'autre ? Mais elle répond, un truc du style "si j'étais un mec, ça s'rait une tarte dans ta gueule !" Je lui réponds un truc du même niveau intellectuel, je dois bien le reconnaitre, du style "si t'étais un mec, je te démolirais", puis je me remets à lire. Mais sa copine, encouragée par l'attitude de son amie, porte maintenant le téléphone toujours musical à son oreille. Il se trouve donc à quelques centimètres de la mienne, d'oreille. Je suis agacé. Je me retourne, avec l'intention d'attraper le téléphone. L'autre a semble-t-il deviné mon intention, puisqu'elle fait : "t'as pas intérêt à essayer de prendre mon téléphone !", au moment où je fais exactement cela, dans un geste rapide. Elles bondissent sur leurs pieds et commencent à m'invectiver, de me traiter de voleur, avec un ton étrangement enfantin, alors que ce ne sont plus des adolescentes. C'est un étrange mélange de menaces, de prières et d'évidents mensonges ("c'est ma mère qui me l'a donné et elle est morte", par exemple. Vu l'appareil, qui doit avoir quelques semaines tout au plus, c'est un évènement qui a dû se produire très subitement). Elles me saisissent la main, dans de vains efforts pour me faire lâcher prise. Je me lève. Sa copine, celle qui tenait l'appareil à l'air un peu plus raisonnable. Je leur dit que je leur restituerais l'appareil quand elles descendront. Elles répliquent tout de suite qu'elles descendent à la prochaine station. Je leur dit alors de descendre au niveau inférieur (c'est une rame à étage et nous sommes en haut) avec leur téléphone. Elles répiquent ensemble que oui bien sûr, elles se cassent, promis. Je lâche le téléphone. Une fois le téléphone en sécurité, la grande gueule se met alors à m'injurier, à me traiter de tous les noms. Elle me crache dessus, me ratant heureusement, puis me balance une gifle. Mes lunettes volent. Je ne vois plus grand chose.
A ma grande honte, je dois bien dire que j'ai fait deux pas vers elle dans l'intention de la frapper. Je me contrôle finalement. Je fais 1,80 m et je pèse plus de 90 kg. Même si j'ai maintenant pas mal de kilos en trop, j'étais assez sportif, étant plus jeune. Si je fais ça, ça va mal se terminer. Elle a fait un bond en arrière, elle crie que je n'ai pas intérêt à la toucher parce qu'elle est enceinte. Si c'est vrai, vu son gabarit poids plume, elle a dû apprendre la nouvelle récemment... De toutes façons, je me maitrise de nouveau. Elle crie aussi qu'elle va appeller la police, ce à quoi je réponds qu'elle peut y aller, on va l'attendre ensemble.
J'entends du bruit derrière moi. Un autre passager se rapproche à grands pas. Il dit "elle est là, la police". C'est un homme dans le début de la quarantaine, en civil. La grande gueule crie "il a essayé de me voler mon téléphone". Visiblement, il a suivi toute la scène. Il répond "Non, il en avait marre d'avoir du bruit derrière lui, il a cru pouvoir régler le problème en vous en privant pour la durée du trajet". Je retourne récupérer mes lunettes, sur un siège. Une branche est légèrement faussée et une aile pliée. Je commence à redresser. Je m'aperçois qu'il y a du sang sur l'aile pliée. L'aile m'a égratinée le nez. J'en ai plein le pif. Rien de grave, toutefois. J'ai juste l'air con. Après des palabres avec le policier, les deux garces partent effectivement vers de nouvelles aventures au niveau inférieur de la rame. Je me rassieds. Je dis au policier "Vous auriez pu intervenir plus tôt", ce qui est à la fois vrai et profondément injuste. Rien ne l'obligeait à intervenir, en fait. Il méritait mes remerciements. Il me répond "je ne suis pas en service, vous savez, et ,vous n'auriez pas dû prendre son téléphone". C'est possible. Je me rassois. Bientôt, j'entends au loin la musique du téléphone des deux idiotes (je jure que c'est vrai). Evidémment, aucun autre passager (une dizaine) n'a bronché pendant toute l'histoire (je rajoute cette phrase après coup, tellement je n'avais pas pensé à eux avant).
Ca m'amène à la raison pour laquelle je raconte tout ça ici :
Qu'aurais-je dû faire ? Me laisser emmerder ? Ca n'aurait pas été juste pour moi, et après la première invective causée simplement par un de mes regards, ça m'était tout simplement impossible. La frapper ? Je suis content d'avoir réussi à me contrôler. Et elles étaient clairement inaccessibles à toute forme de discussion.
Une situation ingérable, sans issue, en somme. Sans l'intervention du policier, je ne sais pas comment ça se serait terminé, honnêtement. Difficile de se préparer à une confrontation de ce genre. Même maintenant, à tête pas encore tout à fait froide, mais presque, je ne vois pas à quel moment j'aurais pu infléchir les choses pour éviter tout ça. Ca fait peur, car ça peut se reproduire n'importe où et n'importe quand, et je n'ai aucune idée comment réagir mieux que je ne l'ai fait (même si je ne me fais aucun reproche et que je suis content d'avoir réussi garder mon calme).
Je me pose des questions. Comme je l'ai dit, il ne s'agissait pas d'adolescentes. Je n'ai pas eu un comportement irréprochable quand j'avais entre 14 et 17 ans, je dois le reconnaitre. Mais elles avaient passé la vingtaine, clairement.
Qu'est ce qui peut expliquer leur attitude ? Elles semblaient presque rechercher une confrontation qui ne pouvait pas se terminer à leur avantage. Que voulaient-elles, au juste ? Pourquoi emmerder comme ça leur entourage ? Elles devraient avoir passé l'âge de l'affirmation de soi.
Je ne suis pas en colère. En fait, j'ai plutôt pitié d'elles. On imagine facilement le genre de vie pas trop enthousiasmante qu'elles doivent mener, sans vraie perspective de voir les choses s'améliorer. Banlieue de merde, scolarité pas très concluante, boulot merdique ou chômage, sans issue en vue. L'impression de n'avoir aucune maitrise sur le cours de sa propre vie. Ca n'excuse rien, bien sûr. Mais ça explique sans doute beaucoup.
Vos commentaires seront plus qu'appréciés, pour cet article bien plus personnel que ce que j'écris d'habitude. Qu'auriez-vous fait à ma place ? Que pensez-vous du comportement de ces personnes ? La violence est-elle une fatalité ?
2 comments:
Bonjour Traroth,
Eh bien personnellement je n'aurai pas pris le téléphone. En effet, ce faisant tu as créé les conditions qui encouragent le conflit et donc la violence. D'après ce que tu nous contes la personne avec le téléphone était vraiment stupide et sa copine loin d'être mieux. Avec des gens stupides il existe deux façons de procéder. Etre aussi stupide qu'eux voire plus ou bien les ignorer. Ce que j'aurai pu faire (difficile de savoir ce que j'aurai réellement fait) c'est donc soit de changer de place en m'asseyant sur mon ego, soit lui renvoyer la pareille. Par exemple je siffle très mal. Pour lui pourrir sa musique j'aurai pu siffler bien fort proche de son oreille. Inconvénient je participe ainsi à la gêne auditive que les autres passagers subissent. Comme tu donnes tes mensurations, ce que tu aurais pu faire c'est remuer avec force sur ton siège. Vu la qualité des sièges de RER tu aurais ainsi gêné silencieusement la fille au téléphone derrière toi qui aurait dû changé de place ou être secouée dans tous les sens.
Mais une bonne méthode est tout autre. Elle consiste à te lever et à prendre place debout face à la fille en lui indiquant que tu ne bougeras pas tant qu'elle n'aura pas baissé le son. Il ne faut rien dire de plus, ne plus rien lui répondre tant qu'elle n'a pas baissé le son. Ne surtout pas rentrer dans son jeu. Bon je dis ça je dis rien...
Le comportement de ces personnes est teinté d'un individualisme extrême et nauséabond. En y repensant je pense que je serai partit m'installer ailleurs. On s'asseoit sur son ego certes mais on s'en sort la tête haute. En revanche tu as bien fait de ne pas riposter, entrer dans le cercle de la violence est idiot. Finalement tu t'es assis sur ton ego tu vois. comme quoi partir aurait sans doute été la meilleure solution, après lui avoir fait remarqué qu'elle gênait comme tu l'as fait bien sûr .
La violence une fatalité, non donc.
Amicalement.
L'habituel anonyme.
Effectivement. Il y a de l'idée.
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